Retournement de Situation

J'avais commencé la journée à cinq heures ce matin. J'avais eu le droit d'être réveillée par un autre légiste à temps partiel qui me suppliait de venir, car il ne tenait plus debout. Est-ce que moi je l'avais déjà supplié ? Il ne serait même pas venu si je l'avais fait. Mais comme j'étais réveillée, j'avais fini par accepter. Le travail manquant cruellement, j'avais décidé de réviser un peu mes cours, ça me serait utile pour l'examen de fin de semestre qui approchait. Mais alors que j'étais tranquillement à réviser, mon téléphone portable sur le bureau vibra une fois, puis une seconde. Un appel... Maman. Je sentais déjà ce qu'elle me voulait, et je venais d'entreprendre de ne pas répondre. Mais c'était ma mère après tout. Je décroche donc le téléphone.

-Lena !

Bonjour Maman.

Et voilà qu'elle commence à me demander comment je vais, les études, le boulot à la morgue. Elle me demande aussi si ce n'est pas trop dur et là je soupçonne papa de ne pas être loin. Mais je préfère ne pas y penser. Voilà qu'on en vient au sujet délicat. Je m'y attendais, l'anniversaire de mon père, depuis deux ans et demi c'est la même chose. Elle me bassine pour que je vienne à l'anniversaire de mon père, au sien (là je vais encore l'effort d'y aller), à noël, à mon propre anniversaire...

-Lena, c'est ton père.

Maman, je t'en prie...

En ce moment je prie également, en plus pour qu'elle arrête, pour qu'un des frères Speirs ne débarque pas. Je me suis un peu moquée d'eux à propos de leur peur de leur propre mère, mais je suis souvent aux prises avec la mienne qui essaie par tous les moyens de nous réconciler, mon père et moi.

Sifflotant gaiement, je passe les portes de l'ascenseur, puis les portes de la morgue. Je suis là pour savoir si Lena a du nouveau sur le faux-suicidé. On recherche toujours le suspect, mais il est plutôt discret ce type. Quand j'arrive, je vois que je dérange. Lena est au téléphone et elle ne semble pas du tout dans son assiette. Cela se confirme au regard qu'elle me lance.

Hum... Je tombe mal c'est ça?

David entra alors dans la morgue. J'oserai à peine dire qu'il est mon sauveur, mais si je le dis et que Jake l'apprend, il va encore faire une remarque désobligeante. Disons que j'en presque assez de cela. Alors forcément, vu la tronche que je tire, David se pose des questions. Pas toujours agréable lorsque ma mère essaie de me réconciler avec mon père. Avec ma main de libre, je montre un deux à David, accompagnant le geste d'un mouvement de lèvres qui voulait dire "Deux minutes".

-Lena, tu pourrais faire l'effort de venir,c 'est son anniversaire.

Maman, il me déteste, pourquoi je viendrais à son anniversaire ? Il ne veut pas me voir.

Elle repart, disant que c'est faux, que mon père ne me déteste pas, après tout je suis sa fille, et bla bla bla... je lève les yeux et manque de soupirer.

Maman, s'il voulait que je vienne, c'est lui qui m'appelerait. Je te laisse j'ai du travail.

Je l'entends qui hurle encore au téléphone "Non Lena, je n'ai pas fini...". Je crois entendre le mot psy. Trop tard puisque je viens de raccrocher. Je soupire et je regarde David.

Je peux t'aider ?

Je fais comme si de rien n'était bien sûr.

Je reste en retrais, comprenant que ça a un rapport avec son père et je sais qu'ils n'ont pas une bonne relation. Lena ne parle pas longtemps avec sa mère et me demande ce qu'elle peut faire pour m'aider. Je suis un peu abasourdi et j'ai sans doute l'air un peu con...

Hummm ça serait presque à moi de te le demander...

Je suis quand même un chouia mal à l'aise d'avoir été témoin de la conversation, c'était vraiment pas de mes affaires.

D'accord, le fait que je fasse comme si de rien n'était l'étonne un peu. Je ne m'étends jamais lorsque mon père est le sujet de conversation. J'en parlerais à mon psy, si j'allais encore le voir, mais comme David ignore que j'ai vu un psy durant plusieurs années, je préfère ne rien dire non plus. Ce n'est pas si catastrophique, mais pour comprendre le pourquoi j'ai vu un psy, enfin une, il faudrait savoir ce qui m'est arrivé et ça, plutôt mourir que d'en parler pour le moment. Je vois bien qu'il se sent un peu mal à l'aise d'avoir entendu. Je fais une mimique et je le regarde.

C'est rien. Ma mère essaie constamment de nous réconcilier, mon père et moi.

C'est rien, c'est vite dit surtout. Mais chacun à ses problèmes, et je ne vais pas m'étendre sur les miens.

Hummm...

Peut-être que c'est parce que j'ai perdu mon père à 8ans que je trouve triste qu'elle refuse une réconciliation, mais elle n'a pas l'air cinglée, elle doit avoir une bonne raison pour refuser.

J'étais là pour notre faux-suicidé. Savoir si tu as quelque chose qui pourrait nous aider à localisé Daniel Hartcher. Il court toujours et j'ai plutôt hâte de lui mettre la main dessus pour régler cette histoire.

Ma réponse lui semble peu convainquante visiblement. Il faut l'avouer qu'elle ne me convaint pas non plus. Ca m'ennuie sûrement autant que ma mère que mon père et moi en soyons là. Mais j'évite toujours le sujet, j'évite d'y penser et de me demander ce que ça me fait vraiment. Comme pour mes patients... je reste détachée. Je me reconcentre sur ce qu'il me demande.

Le faux-suicidé.

Je cherche quelques secondes dans ma mémoire pour lui donner le reste de ma conclusion.

Alors, ses raideurs musculaires sont bien dues à une maladie génétique. Son frère doit aussi l'avoir, peut-être à un degré moindre. J'ai aussi trouvé des irruptions cutanées de type allergique. Je dirais qu'il a fait un tour en forêt il n'y a pas longtemps. Peut-être qu'ils ont une maison de campagne au fin fond de je ne sais où. Et... il avait un cancer du foie. Il devait lui rester six mois tout au plus.

J'hoche de la tête enregistrant les données dans les tréfonds de mon cerveau. Je recule vers la sortie, je dois envoyer une équipe fouiller les bois à environ 1h de Chicago, peut-être que notre petit malin s'y trouve.

Merci Lena. Et au faite!... Si jamais t'as besoin d'une oreille compréhensive pour ton... Enfin ton problème, tu connais mon numéro!

Je souris à son "Merci Lena". Inutile de lui dire lui répondre "de rien", je ne faisais que mon boulot après tout, ce pourquoi j'étais payée. Je repensais trente seconde sà ma conversation avec Kath. Et je l'oubliais vite lorsque David termina sa phrase. Mon sourire était un peu plus mitigé, mais j'acquiessais de la tête.

Oui je le connais... merci.

Il allait alors partir. Soudainement je me surpris à l'arrêter.

Hé !

Je tourne les talons et me dirige vers la sortie, mais voilà qu'elle m'interpelle. Je reviens sur mes pas, me retournant vers elle avec un sourcil arqué, intrigué.

Oui?

Je ne pouvais pas lui dire vraiment que je savais à propos de son propre père, et ma phrase pourrait lui paraître égnimatique.

Tu peux aussi.

Je n'ajoute rien de plus. Il ne se doute peut-être pas du pourquoi je lui dis ça, mais il le saura au moins.

Je souris simplement. Les mots sont inutiles. On vient de se proclamer personne de confidance, alors les paroles ne servent à rien. J'hoche de la tête et la salue de la main avant de partir de la morgue pour rejoindre mon bureau.